Cette œuvre frappe par sa puissance symbolique et son langage visuel hybride, mêlant peinture, collage et graphisme. Au centre, la figure fragmentée d’un corps en croix domine la composition, immédiatement identifiable mais profondément déconstruite. Les bras, les mains et les pieds ne sont plus liés par une représentation continue : ils sont isolés, juxtaposés, presque disloqués, comme si l’artiste cherchait à interroger la mémoire iconographique de la Crucifixion plutôt qu’à en proposer une image fidèle.
Le choix du collage, associé à des aplats de peinture texturée, introduit une tension entre le sacré et le contemporain. Les éléments graphiques – cercles jaunes, croix noires, éclats de couleur rouge et verte – viennent heurter la figure traditionnelle du Christ, injectant une énergie quasi urbaine dans ce qui pourrait être perçu comme une icône religieuse. Ces signes fonctionnent comme des balises visuelles : ils perturbent la lecture et invitent à dépasser toute interprétation littérale.
Le fond, travaillé dans des nuances terreuses mêlées de gris métalliques et de touches rougeâtres, semble respirer la cendre et la rouille. Il agit comme un espace de résonance, une matière qui enveloppe la figure et l’arrache à toute transcendance lumineuse pour l’ancrer dans une réalité charnelle, presque brutale. Ici, la douleur n’est pas édulcorée par le sublime ; elle est fragmentée, disloquée, exposée.
Techniquement, l’artiste déploie un geste pictural riche en contrastes : des zones de peinture dense, où la matière est presque rugueuse, côtoient des découpes nettes et des aplats graphiques. Ce dialogue entre texture organique et éléments visuels synthétiques accentue la dimension contemporaine de l’œuvre, tout en réactualisant le motif christique.
Ce tableau n’est pas seulement une représentation : c’est une confrontation. La figure du Christ, privée de son unité, devient un champ de tensions entre tradition et modernité, icône et déconstruction, douleur et réinvention. Plutôt que de livrer un message univoque, l’artiste ouvre un espace de questionnement sur la persistance du sacré dans un monde saturé de signes, où la foi, la mémoire et l’image s’entrechoquent.
En définitive, cette œuvre de 119x89 cm s’impose comme une méditation visuelle radicale, une relecture iconoclaste du spirituel à travers le langage éclaté de l’art contemporain.