Forever And Ever

Dans cette œuvre saisissante, Ludovic Simon ne se contente pas de détourner une photographie ancienne : il la transfigure, il la sabote, il la révèle. À première vue, nous sommes face à un couple figé dans l’élégance surannée d’un autre temps. L’homme et la femme, emmitouflée dans sa fourrure, sourient. Mais très vite, ce vernis craque. Littéralement.

À coups de brosses épaisses, de bavures volontaires, de couleurs criardes (le rouge des lèvres, notamment, éclatant comme une blessure clownesque), Ludovic Simon macule les visages, brouille les regards, ruine les sourires. Il ne s'agit pas ici d'un simple geste punk ou d’un jeu formel sur la nostalgie. C’est une opération chirurgicale — brutale, expressive, urgente — pour forcer la mémoire à avouer ce qu’elle cache.

Les personnages, autrefois probablement glamour, deviennent ici grotesques, presque menaçants. Leur mascarade est rendue visible. Le spectateur ne sait plus s’il doit rire ou reculer.

L’arrière-plan, flou et délavé, laisse apparaître d'autres silhouettes, fantômes anonymes d'une époque qui s'effrite. En opposition, les deux figures principales explosent dans un chaos de matière : le costume est strié de jaune vif maladroit, la fourrure se mue en tourbillon neigeux. Tout dans cette toile évoque un effacement volontaire de la bienséance, un refus de l’image policée.

Comme souvent chez Ludovic Simon, il y a une jubilation dans la destruction. Mais cette jubilation n'est pas gratuite : elle est critique. Elle interroge notre rapport à l’image, à la mémoire, aux récits que l’on conserve et que l’on vénère sans les questionner.

Cette œuvre n’est pas un simple tableau : c’est une attaque. Une attaque contre la photographie comme témoin fiable. Une attaque contre l’illusion du bonheur figé. Une attaque, aussi, contre notre propension à maquiller nos vérités.

Et si, en fin de compte, ces deux personnages n’étaient que le miroir grotesque de notre besoin de paraître, souriants à tout prix, même couverts de boue ?

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