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Bleu Moche Blues

Roman de Ludovic Simon
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Je prends sur moi, mais n'ai-je pas dit que je vous parlerai de tout, en toute transparence ?

Je ne suis pas très à l'aise avec ce romans que j'ai écrit il y a longtemps déjà, à un moment de ma vie où je n'allais vraiment pas bien, où rien n'allait bien. Je traînais à la maison, sans boulot, sans perspective, et je ressassais les raisons pour lesquelles j'avais quitté la Gendarmerie - car j'ai été gendarme - et surtout, je ressassais les raisons qui m'avaient poussées à devenir gendarme. Tout ça, ce n'était pas moi, plus rien n'était moi, je sombrais dans une sorte de dépression qui ne disait pas son nom et je voulais la cracher, la jeter loin de moi, la vomir pour qu'elle cesse de m'empoisonner.

C'est ce qui a déclenché l'écriture de ce roman, l'envie de vomir.

Dans ce roman je pleurniche, je me plains, je joue au poète maudit et ça m'est pénible aujourd'hui. Mais dans ce roman je balance également des vraies belles choses. Il y a des pages dans ce livre dont je suis très fier, comme celles dans lesquelles je parle du colis que m'envoie ma mère tandis que je suis au Pakistan, seul et perdu. Des pages dans lesquelles je parle de la dépression, de ce lent chemin qui nous mène jusqu'à l'idée du suicide. Et d'autres pages encore qui contiennent quelques fulgurances et autres éclats de poésie.

Mais pour l'essentiel, j'ai un peu honte de ce roman aujourd'hui. Trop intime. Trop personnel. J'ai l'impression d'être complètement nu et livré aux regards du monde entier. Je pourrais le dépublier vous me direz, mais ce serait pire. La honte l'emporterait, et l'idée d'avoir cédé à la honte nourrirait une honte plus grande encore. Non, c'est foutu.

Ma chance, c'est que personne ne lit ce roman. Personne ne l'achète. Il est là, disponible, posé sur une étagère, prêt à me mortifier. Il me nargue. Quelqu'un va le trouver et découvrir ma nudité. Mais qui ? Les années ont passé sans que personne ne le trouve alors je pense que ça n'arrivera plus. Ce livre ne me rend plus aussi nerveux qu'avant. Il n'est plus que cette erreur que vous avez commise un jour, et qui vous hante de moins en moins souvent, de moins en moins violemment à mesure que le temps passe.


Mais j'ai écrit un livre. Je sais comment on parvient à écrire un livre, c'est simple : Il faut écrire une phrase après l'autre. Une page après l'autre. Au bout d'un moment, ça vous saute aux yeux, vous avez écrit un livre. L'erreur est de vouloir écrire un livre. Si l'objectif est d'écrire un livre, tout cela vous semblera fastidieux, incroyablement long et ennuyeux. Mais si vous vous voulez écrire ce que vous pensez, ou ressentez, ou imaginez, sur une page, puis sur une autre, alors vous finirez peut-être par écrire un livre.


J'ai écrit un livre assez médiocre et sans beaucoup d'intérêt, sauf pour mes fans (que je n'ai pas) ou mes biographes (que je n'aurais jamais), ce qui en fait définitivement un livre sans intérêt. Reste mes enfants. Je ne sais pas s'ils l'ont lu, nous n'en parlons pas. Je pense que oui mais une sorte de pudeur commune empêche la moindre allusion, après tout, quel enfant est à l'aise devant son père complètement nu ? Et quel père souhaite parler de son anatomie avec ses enfants ?

Ont-ils honte de ce livre, comme moi ? Se disent-ils : "Pourvu que personne ne tombe sur ce livre durant notre vie entière ?"

Je ne sais pas. Et puis il y a ce moment de ma vie que j'évoque dans ce livre, explicitement. J'aurais dû commencer par vous parler de ça. Mes enfants pourraient découvrir en lisant ce livre que j'ai été abusé étant enfant, on ne peut pas faire plus nu que ça, plus intime, plus dangereusement personnel. J'évoque le vide que cela a créé en moi, mais à mes enfants, je leur expliquerai un jour que ce vide a permis à la joie de s'installer, de pousser et de fleurir.




 
 
 

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