Marianne Faithfull, ma figure totem
- Ludo MAKING OF
- 17 juil.
- 4 min de lecture
Dans la partie du site nommée "inspirations", vous avez découvert une référence à Marianne Faithfull, il est temps pour moi de vous en parler et de révéler la part de folie qui vit en moi, tout au moins une partie de cette folie.
Marianne Faithfull, elle m'a adopté quand je devais avoir douze ou treize ans, devenant ainsi ma mère. Bien entendu personne n'a été informé de cet évènement, pas même Marianne Faithfull, et je n'y voyais pas d'inconvénient puisqu'il n'y a que moi que cette adoption intéressait. Ne trouvant rien qui puisse tout à fait me lier et me relier à mes propres parents, et par extension, à ma propre famille, il a bien fallu que mon esprit trouve une réponse à cette question : "D'où est-ce que je viens ?"
J'ai donc très tôt nourri et alimenté ma théorie selon laquelle j'avais été adopté, car comment expliquer alors que mes parents et moi n'avions absolument rien en commun ? Je ne suis pas cinglé à ce point, bien entendu, je "savais" que mes parents étaient bel et bien mes parents, mais il fallait que je puisse me créer un environnement imaginaire capable de faire résonner en moi une certaine logique.
C'est comme ça que Marianne Faithfull est arrivée dans ma psyché défaillante et est devenue une figure totem que je pouvais convoquer à chaque fois que la réalité m'affrontait et me renvoyait à tous les sentiments d'injustice, de tristesse, de désespoir et de révolte qui agitaient mon quotidien. Je lançais sa musique, et c'est alors à moi que Marianne s'adressait. Je ne comprenais pas un mot d'anglais, ou si peu, mais je savais que ce qu'elle racontait, c'était pour moi. Il n'était pas important que je comprenne les paroles car elle ne faisait pas que chanter. Non, elle me prenait dans ses bras. Elle me serrait contre elle, me réconfortait, m'apaisait. Et quand elle passait à la télé, ou sur un autre écran, elle me regardait, moi, et je la voyais essayer de me faire comprendre que je n'avais pas à m'inquiéter.
La question qui se pose, que vous vous posez peut-être à ce stade, c'est : Pourquoi Marianne Faithfull ?
Parce qu'elle m'a explosé à la tronche ! Parce qu'elle a soufflé mes conduits auditifs !
Elle était si belle, si élégante et tout à la fois si brisée, si digne, si grande. Grande comme le sont peu de personnes. La classe. Le feu et l'eau. Le Ciel et la Terre. La joie la plus immense et le chagrin le plus profond. Etre adopté par elle, c'était une manière d'essayer de devenir ce qu'elle incarnait. Je voulais être Grand moi aussi, me tenir droit, ne pas renier l'infinie tristesse qui vivait en moi mais ne pas être défini par elle. Au contraire. Je voulais faire comme cette figure totem, je voulais transformer la noirceur qui m'habitait en une matière éblouissante une fois extériorisée, tout comme elle le faisait.
C'est ce que font beaucoup de personnes, et pas que des artistes d'ailleurs - j'aurais l'occasion de revenir dans d'autres posts sur ce mythe de l'artiste maudit - et c'est en cela que cette relation intérieure à Marianne Faithfull a longtemps été une forme de folie par son caractère exclusif et intense.
Qu'en est-il aujourd'hui ?
Marianne Faithfull est décédée. J'ai perdu une amie chère. J'ai perdu un morceau de ma folie, un morceau de mon histoire étrange. J'écoute Marianne Faithfull quand j'ai besoin de retrouver ces sensations de mon enfance et de mon adolescence, pas les souvenirs de ces périodes, non, plutôt celui que j'étais à ce moment-là : Un être qui refusait que se referme sur lui le monde.
Je pressentais, je crois, à cette époque, que l'onirisme qui remplissait mon esprit allait disparaître écrasé par les injonctions d'un monde dans lequel on se doit d'être tout à fait sérieux, tout à fait responsable, tout à fait maître de soi, tout à fait ceci et tout à fait cela.
Ainsi, être adopté par Marianne Faithfull a été une des meilleures choses qui me soit arrivée. Cet épisode a alimenté mon imagination - d'ailleurs mon second roman est né grâce à cette relation avec Marianne Faithfull, je vous en parlerai - cet épisode a nourri mille espoirs, mille rêveries, mille inspirations. J'ai pu échapper au tumulte des cimetières, comme le dit Lorca.
Je ferme les yeux parfois, en l'écoutant, et je lui demande de me prêter sa grâce, sa beauté, sa belle et douce créativité. Je ferme les yeux et j'espère qu'elle a trouvé le repos et tous les enfants qui l'ont prise pour mère. Au demeurant, peut-être n'était-elle pas une maman idéale dans la vraie vie, mais là n'est pas la question puisque cette folie n'a de valeur que parce qu'elle est une folie, un remède pour lutter contre tout ce qui peut nous anéantir.
L'on agrippe des souvenirs, ou alors des rêves, ou des idées folles, et on fait tout ce qu'on peut pour ne pas les lâcher de peur de tomber dans un gouffre - qui peut-être n'existe pas - mais que l'on croit qu'il peut nous dévorer. C'est la beauté des rêves. C'est la magnifique complexité humaine.
C'est peut-être seulement, uniquement, le pouvoir de la musique et des chanteuses et chanteurs.
Parfois je me prends à rire en songeant que ce que j'ai cru longtemps être la traduction d'un esprit complètement tordu, le mien, n'est en réalité rien de moins que ce que vivent des millions de personnes à travers le monde, avec d'autres Marianne Faithfull.


Commentaires